Vin et ultra-libéralisme…
Depuis quelques mois, une vague de folie spéculative déferle sur le monde du vin. D’abord foncière, elle a vu le prix de l’hectare viticole exploser dans de nombreuses régions rendant ainsi certains domaines intransmissibles, en raison de droits de succession trop élevés. Les prix de vente de nombreuses propriétés sont, par ailleurs, si alléchants qu’ils poussent à la vente nombre de propriétaires, fiers d’intégrer le cercle fermé des grandes fortunes de notre pays.
Mais qui est en mesure, aujourd’hui, d'acquérir ces joyaux de notre patrimoine œnologique ? : François Pinault, Bernard Arnault et autres Martin Bouygues… Tel fut récemment le destin du Clos de Tart, du domaine Bonneau du Martray ou encore du Clos Rougeard. Nos capitaines d’industrie, déjà fortement pourvus en la matière (château d’Yquem, château Latour, château Montrose, Moët & Chandon etc…) continuent ainsi de remplir leurs vitrines de trophées oenologiques ! Quand leur faim (je devrais dire leur soif !) d’acquisition sera-t-elle rassasiée ?
Corollaire de cette tendance : la hausse du prix des bouteilles de certains domaines. Le record absolu pour une bouteille de 75 cl vient ainsi d’être battu, que dis-je, pulvérisé, par une Romanée-Conti 1945 adjugée 486.000 € lors d’une enchère à New-York le 14 octobre dernier !! Pour mémoire, l’Hermitage ˝La Chapelle˝ 1961 de Paul Jaboulet Aîné est resté pendant une dizaine d’années le vin le plus cher du monde avec une adjudication à 17.000 €. C’était en…1997 et la modestie de l’enchère prêterait presque à sourire aujourd’hui ! Beaucoup de producteurs de ces vins dits ˝spéculatifs˝ n’ont aucune emprise sur l’envol des tarifs sur un marché secondaire devenu aujourd’hui incontrôlable. Au final, ils n’y gagnent rien et beaucoup d’entre eux déplorent que leurs flacons ne servent qu’à faire la fierté de collectionneurs fortunés qui aiment le vin au même titre qu’une œuvre de Banksy ! A quand la bouteille qui s’autodétruira sous vos yeux… ?
Le vin est un produit vivant fait par des êtres tout aussi vivants. Il reflète un terroir, une histoire, une culture, une joie de vivre bienveillante et utile à partager. Ce monde est devenu gravement malade et les symptômes de ce mal apparaissent à tous les niveaux. Ce qui est visible dans le monde du vin en constitue une bonne illustration. L’économie ultra-libérale qui régit nos vies apparaît incompatible avec l’équilibre du vivant et avec la production agroalimentaire. Les conséquences du dérèglement climatique, de la pollution et de l’agriculture productiviste ont un impact dramatique au quotidien.
Alors, vient-on d’atteindre le point de non-retour pour la valeur d’un bien consommable ou bien va-t-on continuer à laisser le bateau ˝ivre˝ dériver vers un horizon sombre, à l’image de celui promis, à terme, à notre chère planète ?