Le langage poétique du vin n'excuse pas tout !
Les progrès techniques des outils analytiques dont nous disposons aujourd’hui, et que les laboratoires d’analyse œnologique utilisent, nous permettent de mieux comprendre les propriétés d’un vin. Cependant, rien n’est encore aussi performant que le nez et les papilles humaines pour décrire les caractéristiques de notre précieux nectar. Pour l’aider dans cet exercice ô combien difficile, trois analyses : visuelle, olfactive et gustative associées chacune à différents paramètres ont été pensées. Je n’en ferai pas ici la liste exhaustive mais, par exemple :
- l’intensité colorante de la robe d’un vin rouge, proportionnelle à la concentration en pigments et en tanins, nous en apprend beaucoup sur la nature du (des) cépage(s) qui le composent.
- sa complexité, définie par la quantité d’arômes tertiaires qu’il présente, nous renseigne sur son mode d’élevage et son évolution dans le temps etc…
Ces outils, assortis d’un vocabulaire précis et universel (ronde, droite ou nerveuse lorsque l’on parle d’une attaque en bouche pour donner un autre exemple) sont logiques et cohérents entre eux.
Aujourd’hui, cette rationalité en effraie manifestement plus d’un ! Il en résulte, chez certains œnologues, maîtres de chai ou autres professionnels du vin, de nombreux discours qui visent à stigmatiser cette démarche analytique la jugeant ringarde au profit d’une approche plus "humaine" où on laisse libre cours à son ressenti, à son imaginaire ou à des souvenirs divers et variés. Nombre de buveurs d’étiquettes viennent également enrichir cette liste. Pour s’affranchir de leurs lacunes œnologiques, ces derniers, arborant un snobisme désopilant, n’hésitent pas à abuser d’éléments de langage poétique ou d’arguments loufoques : n’ai-je pas entendu évoquer le foutre de lièvre en rut pour décrire un arôme animal dans un vieux Châteauneuf-du-Pape ! Affirmation supposant de bien connaître l’anatomie de ce magnifique animal… Pour avoir assisté à certaines descriptions de vin dans le cadre de présentations, cours ou animations, il m’a semblé qu’à trop vouloir se rapprocher de ses sensations brutes étayées par un vocabulaire plus littéraire que scientifique, on s’éloignait de ce dont on voulait parler c’est-à-dire du vin que l’on était en train de déguster… Plus sérieusement, laissons à nos grands auteurs métaphores et figures de style. Muse pour beaucoup d’entre eux, ils ont su le magnifier dans leurs chefs-d’œuvre "Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles…" (Charles Baudelaire) ou encore pour Paul Claudel "Le vin est un professeur de goût, il est le libérateur de l’esprit et l’illuminateur de l’intelligence".
Contrairement à la tendance actuelle, ma philosophie de la compréhension d’un vin ne commence pas par l’aspect émotionnel qu’il suscite. Cela ne signifie surtout pas que cette facette doit être exclue de l’analyse mais qu’elle doit se positionner après une description rationnelle selon des paramètres relatifs à la vision, l’olfaction, le goût et le sens tactile. Le but ultime n’étant pas de briller lors de dîners en ville mais de prendre plus de plaisir en comprenant mieux ce que l’on goûte !